Plaidoirie d’une sociologie du sursans-abrisme queer.

28 janvier 2025
Par Loïc Chave
L’analyse sociologique du sursans-abrisme queer se révèle pertinente en cela qu’elle met en lumière la surreprésentation des personnes queers sans domicile ; en quoi les normes sociales, les structures familiales et les institutions participent à la marginalisation et la précarité des personnes LGBTQIA+ ; en quoi être queer rend le parcours de la personne sans-abri différent ; en quoi les politiques publiques ne peuvent aboutir si elles ne sont pas spécifiques ; en quoi les organisations LGBTQIA+ pallient l’inadéquation des dispositifs publics.
20 % des personnes queers en France se sont déjà retrouvées sans domicile. Les enquêtes confirment l’existence d’une surexposition des personnes queers parmi les personnes sans-domicile en France, notamment celles de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, à travers l’étude de 13 525 personnes LGBTI françaises.
D’après l’étude, c’est une personne LGBTI sur cinq qui s’est déjà retrouvée sans domicile. Plus précisément, 27 % des personnes intersexes et 30 % des personnes transgenres ont vécu cette situation. En comparaison, environ 4 % de la population générale s’est déjà retrouvée sans domicile, cinq fois moins que les personnes LGBTI.
À l’origine du terme sursans-abrisme queer, l'Observatoire des vulnérabilités queers de la Fondation Le Refuge qui s'inspire de la notion de sursuicidité.
Observée chez les jeunes transgenres, une surcuidité indique une prévalence accrue de tentatives de suicides dans une population.
Le sursans-abrisme queer renvoie à deux notions : le sans-abrisme et le queer. Le sans-abrisme fait référence à la situation d’individus vivant dans des conditions extrêmement précaires, souvent à la marge des dispositifs d’aide sociale, ou sans un accès durable à un logement stable. Cela peut inclure des formes de logements informels, des squats, des habitations temporaires ou des transitions entre des situations de logement non stable.
« Queer » est historiquement utilisé de manière péjorative pour désigner la communauté LGBTQIA+. Celle-ci s’est réapproprié le terme pour désigner une posture de résistance contre les normativités hétérosexuelles, cisgenres et dyadiques (non intersexes).
Le sursans-abrisme queer désigne une disproportion du nombre de personnes LGBTQIA+ parmi celui de sans-abri. Cette disproportion est liée à une survulnérabilité spécifique des personnes queers. Cette survulnérabilité est causée par la marginalisation de leur identité de genre, orientation sexuelle ou intersexuation.
Cette marginalisation commence au sein même du cercle familial.
Le Panorama 2024 de l’Observatoire révèle qu’une femme lesbienne ou bisexuelle sur deux a été victime de violences intrafamiliales. Les hommes gays et bisexuels déclarent deux fois plus de violences intrafamiliales que les hommes hétérosexuels, et les personnes transgenres trois à quatre fois plus. Les ruptures familiales forcent de nombreux jeunes LGBTQIA+ à quitter leur domicile sans solution de repli, les exposant au sans-abrisme.
Cette marginalisation continue à l’école et tout au long de la vie de la personne queer, dans l’accès au logement ou à l’emploi, et accentuent la précarité imposée aux personnes queers. Cette précarité devient non seulement économique, mais également sanitaire et sociale.
Cette marginalisation pose des difficultés en termes de santé mentale. L’exclusion sociale, les discriminations répétées et les violences subies par les personnes LGBTQIA+ créent un environnement de stress chronique. Ce contexte contribue à des taux élevés de troubles dépressifs, d’anxiété et de pensées suicidaires. Sans soutien adapté, ces troubles peuvent rendre difficile l’accès ou le maintien dans un emploi, alimentant ainsi un cercle vicieux de précarité.
Cette marginalisation se retrouve également dans le domaine de la recherche : la transidentité, l’homosexualité, la bisexualité ou l’intersexuation des personnes sont considérées comme des données sensibles par le RGPD. La collecte de ces informations est rendue impossible pour les services publics. Il n’y a donc pas de recensement précis du nombre de personnes queers sans domicile fixe ou sans-abri en France.
Au-delà des causes, le sursans-abrisme queer raconte également ce qu’est l’expérience particulière d’être une personne LGBTI+ sans domicile.
Les personnes LGBTQIA+ en situation de sans-abrisme ont des besoins particuliers, liés à leur identité, aux discriminations et aux violences spécifiques qu’elles subissent. Les dispositifs classiques d’aide sociale ne suffisent pas toujours à répondre à ces besoins. Par exemple, les centres d’hébergement d’urgence, souvent genrés de manière rigide, peuvent être des lieux hostiles pour les personnes transgenres, en raison d’un manque de formation du personnel, d’une absence de considération pour leur identité de genre, ou de violences transphobes de la part des travailleur·euses sociaux·es comme des autres hébergé·es.
Un accompagnement spécifique doit inclure des espaces sécurisés, des services de soutien administratif et psychologique adaptés, et des actions ciblées pour l’accès à l’emploi et au logement. La mise en place de ces dispositifs nécessite une meilleure reconnaissance institutionnelle de la spécificité du sursans-abrisme queer, afin d’intégrer ces réalités dans les politiques publiques.
Face aux lacunes institutionnelles, des organisations LGBTQIA+, notamment Le Refuge, tentent de répondre aux besoins spécifiques des personnes queers en situation de précarité. Ces organisations restent sous-financées et doivent être soutenues par des politiques publiques ambitieuses et inclusives.
Sans admettre la spécificité du sursans-abrisme queer, les politiques publiques de lutte contre la précarité ne pourront pas correctement aboutir. Pourtant, près d’un Français sur 5 s’oppose au soutien de l’État aux structures d’accueil de jeunes LGBT+ rejeté·es par leurs parents (BVA Xsight pour Le Refuge (2024). La situation des jeunes LGBT+ en France).

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